Apprendre, un besoin vital

Au Togo, les parents font tout en leur pouvoir pour envoyer leurs enfants dans les écoles privées, c’est le seul moyen de leur assurer une éducation potable.

Dans un établissement privé, les classes peuvent compter une soixante d’élèves. « C’est bien mieux qu’au public », qu’on me dit. Là-bas, on peut compter jusqu’à, quatre-vingt, voire cent élèves par classe aux niveaux primaires et secondaires. (J’ai déjà abordé le sujet déroûtant des universités dans un texte précédent.) Les enseignants de français y utilisent, malgré eux, une grammaire de 1952 à titre de référence pour organiser leurs cours, mais au public, il n’y a simplement pas de référence.

 

Libre à vous d’imaginer la situation dans ces écoles, celles qui sont publiques. Parfois, le professeur ne se présente tout simplement pas. Ou alors il perd le contrôle de son groupe bruyant. Dans les deux cas, les enfants retournent à la maison, n’apprennent rien pour la journée.

 

Tous les soirs, j’allais chercher un petit groupe de filles orphelines à l’école publique du quartier. Je les raccompagnais à l’orphelinat et les aidais avec leurs devoirs. Tous les soirs, j’arrivais à l’école et c’était le chaos. Je pouvais entendre crier les enfants dans les classes et ils sortaient par centaines en courant dans tous les sens lorsque la fin des cours était annoncée. Ensuite, c’était le chaos dans les leçons aussi, car elles n’avaient manifestement reçu aucun soutien de la part de leur enseignant.

 

Pour les parents, toutefois, ce n’est pas évident d’obtenir pour leurs enfants une éducation de qualité, d’y avoir accès.

 

 

Du confort de mon appartement australien, ce matin, un frisson me traverse. Mes yeux s’emplissent de larmes.

 

Dans ma tête, je revois en boucle cette scène s’étant déroulée il y a quelques mois, au Togo.

 

Il est 6h20. L’air est encore frais, on est bien. Je me dirige vers l’école où j’assisterai le professeur d’un groupe de première année. Je ferai de l’observation aujourd’hui, prendrai quelques notes pour voir comment la classe fonctionne et ce que je peux leur apporter. Sur mon chemin, les enfants en uniforme me saluent en sautillant dans tous les sens. Je les entends en écho crier « yovo, yovo, bonsoir », ce qui veut dire « blanche, blanche, bonsoir ». Et puis, quand j’entre dans la cour de l’école, les petites sautent pour attraper l’un de mes cheveux non-frisés de blanche en me souhaitant la « bon arrivée tata » (il est à noter que tata veut dire professeure et non niaiseuse dans leur langue maternelle, le héwé).

 

Les enfants de mon groupe sont si petits. Ils ont 5 ou 6 ans. Lorsque le maître leur demande d’écrire le son po, en lettres attachées, sur leur carré d’ardoise, ils s’appliquent. La langue sortie parfois, on voit bien qu’ils veulent réussir. Le maître frappe le sol de trois coups de bâtons. Au dernier coup, tous doivent montrer leur ardoise au maître.

 

Salem, lui, a une ardoise tellement défraîchie qu’on arrive à peine à lire ce qu’il a écrit. Il reçoit un coup de bâton dans le dos. Avec un petit morceau de tissu, il avait beau frotter son ardoise très fort, il lui en aurait fallu une nouvelle. À lui et à plusieurs autres élèves.

 

Sa voisine de pupitre, elle, a visiblement un retard sur ses camarades. On lui demande de se lever et de répéter le son po. Elle bégaie. « Ses parents ne parlent jamais français avec elle à la maison », me dit son enseignant, d’un accent très fort. Lui non plus, il ne parle visiblement pas français à la maison. Mais la petite se fait pincer la joue. Elle essuiera les larmes coulant involontairement de ses grands yeux et, pendant quelques heures, elle restera silencieuse.

 

Puis, Rebecca est montrée en exemple, car elle a bien fait. Tous lui chantent en choeur la fameuse chanson qui résonne dans chacune des classes togolaises: « Ouiii c’est magnifique, c’est super, c’est joli! ». Les élèves tapent dans leurs mains et font plein de pouces en l’air en direction de leur camarade. Ça me fait sourire rien que de me remémorer leurs petites voix aiguës et les yeux brillants de l’élève qui a réussi.

 

Le directeur entre dans la classe. Tous se lèvent.

 

– Boooonjour moonsieur.

– Bonjour les enfants, vous allez bien (il me lance un regard complice au fond de la salle)?

– Ça va trèèès bien, meeerci, eeeeet vous?

– Ça va très bien merci. Asseyez-vous maintenant.

 

Puis il commence à nommer des élèves. Ces élèves se lèvent en pleurant et quittent vers la cour. Certains tentent de se justifier, entre deux sanglots. « Maman est venue ce matin », disent d’autres, tout contents. Parfois le directeur rétorque en leur disant qu’elle n’a toutefois pas payé le montant complet.

 

En effet, j’avais remarqué beaucoup de va-et-vient dans le bureau du directeur ce matin. Des parents lui apportant 5000 francs CFA (10$ CAD), lui promettant d’apporter le reste au soir.

 

Le cours continue, il ne reste que quelques enfants dans la classe. Les élèves nommés doivent se rendre chez eux, quitter l’établissement.

 

Je sors de la classe. Je veux comprendre. Une petite de mon groupe pleure dans son coin. Je m’accroupis devant elle, elle se cache un peu de peur que je la dispute. Je l’assure du contraire, qu’elle peut me parler, me faire confiance. Son frère, à peine plus âgé qu’elle, me dit, regardant au sol, « maman n’a pas payé les cours ». Je regarde autour de moi, plus de la moitié des élèves de l’école sont dans la cour. Et je comprends maintenant pourquoi.

 

Je me suis informée dans les jours suivants sur les frais de scolarité pour fréquenter cette institution privée. Les parents paient trois trimestres de 30 000 francs CFA, soit un total de 180$ CAD par année. Chez nous, c’est souvent ce que l’on dépense pour l’épicerie d’une semaine. Ou pour un ou quelques morceaux de linge.

 

À son âge, elle n’aurait jamais dû avoir à se soucier de cela. Ç’a m’a frappé au visage et ça me travaille toujours.

 

Plus j’y pense, plus j’en retiens le désir de ces enfants de fréquenter l’école. C’est vital pour eux.

 

Apprendre, un besoin vital… Personnellement, ça me fait réfléchir.

2 pensées

  1. Allo la belle Audrey. On est allé au golf pour la première fois hier. Snif! Snif! Il n’y avait pas de Audrey. Chanceux sont les gens qui peuvent te côtoyer. Avec ton beau sourire, tu sais illuminer ton entourage. On est certain que les élèves que tu as eus ont apprécié cette facette de toi. Où que tu sois, on espère que ça va bien pour toi. Alain et Suzanne

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour à vous, merci beaucoup pour ce touchant message, il me va droit au coeur. J’ai justement pensé à vous récemment avec la reprise du golf. J’espère que tout se passe bien pour vous. J’ai bien hâte de vous revoir, d’avoir de belles discussions et de rire un bon coup avec vous. Bisoux, Audrey

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